L'homme fragile
- José Macarty
- 5 févr.
- 2 min de lecture
Il marche lentement, à petits pas mesurés, sur l’allée de graviers qui mène à sa maison. Il ne sait pas s’il avance ou s’il dérive. Le bruit sec des pierres sous ses semelles résonne étrangement à ses oreilles, comme un écho de son propre corps qui peine à suivre le fil du temps. Il n’a plus confiance en lui. Il y a encore quelques jours, il se sentait solide, ancré dans une routine qui lui donnait l’illusion d’un équilibre. Il brisait du bois, sarclait la terre, rédigeait ses pensées dans de petits carnets qu’il entassait dans une vieille commode. Il aimait cette vie simple, rythmée par la nature et les tâches humbles. Et puis, il y a eu cette visite chez le médecin. Un verdict implacable : son cœur est malade, irrémédiablement.
Depuis, tout a changé. Ou peut-être est-ce seulement lui qui a changé ? Chaque battement de son cœur est devenu une menace sourde, un tic-tac invisible qui ponctue ses journées. Il se sent comme un funambule suspendu au-dessus du vide. Certains matins, il se lève avec une rage tranquille, s’efforçant de retrouver l’innocence d’un quotidien oublié. Il caresse l’écorce d’un arbre, s’arrête pour écouter le chant d’un oiseau, laisse la lumière matinale réchauffer son visage. Ces jours-là, il se dit qu’il faut vivre, tant qu’il en est encore temps. Il essaie d’apprécier la simplicité d’un bol de café fumant, le rire d’un enfant croisé sur la place du village, le plaisir ténu d’un livre ouvert sur la table.
D’autres jours, en revanche, il se sent englouti par l’angoisse. L’air lui semble plus lourd, chaque mouvement lui coûte un effort démesuré. Il n’ose pas s’éloigner de sa maison, de peur de s’effondrer sur le chemin. Parfois, il s’assied sur son lit, fixe le sol, laisse les minutes s’égrener sans chercher à leur donner un sens. Son regard erre sur les objets de son quotidien, des choses si ordinaires qui, soudain, prennent une gravité nouvelle. Ce cahier à spirales où il notait ses pensées... A-t-il encore le temps de le remplir ? Cette montre posée sur la table de chevet.. Pourquoi continuerait-elle à donner l’heure quand lui ne sera plus là ?
Le soir, dans la pénombre de sa chambre, il laisse le flot des souvenirs l’envahir. Il repense à sa jeunesse, aux voyages qu’il a entrepris, aux amours qu’il a connus. "J’ai eu une belle vie", se dit-il en souriant doucement. Mais parfois, ce sont les ombres du passé qui s’invitent. Les erreurs, les regrets, ces moments où il aurait pu agir autrement, ces visages qu’il a blessés sans le vouloir ou qu’il n’a pas su retenir. Ces nuits-là, il murmure à lui-même : "Il est temps que je parte."
Et pourtant, le lendemain, il se lève. Parce qu’il y a encore une aube, encore un souffle, encore une main à tendre ou un mot à écrire. Parce que tant qu’il est là, la vie continue, même si elle vacille comme une flamme fragile dans le vent.

Comments