La pensée va-t-elle plus vite que la lumière ?

L’idée qu’on ne peut aller plus vite que la mesure et que la vitesse a son temps dérivent sans doute de la théorie de la relativité qui donne pour absolu la constante de la vitesse de la lumière. Selon la légende, cette apparente contradiction serait née de l’imagination d’Einstein à la suite d’un exercice de pensée. Le défi d’aujourd’hui porte sur l’énigme suivante : quelle est la vitesse à laquelle voyage justement la pensée, qu’elle soit du père de la relativité ou de n’importe quel quidam ? Il convient au préalable de noter que nos ne sommes pas les seuls à s’être penchés sur la question. Déjà, à une époque ancienne, Aristote soutenait que la pensée est instantanée et que l’esprit peut voyager n’importe où dans l’univers en un instant.

Plus récemment, le neuroscientifique et auteur David Eagleman a exploré la vitesse de la pensée dans son livre "Incognito : The Secret Lives of the Brain". Il décrit comment différentes parties du cerveau traitent l'information à des vitesses différentes, ce qui peut créer l'illusion d'une pensée rapide ou lente. Il laisse ainsi sous-entendre que la pensée se propagerait selon des vitesses différentes, en raison peut-être de la complexité de l’idée, du moment de la journée ou encore de la température. « Cela dépend s’il y a du vent, s’il pleut ? » aurait pu répondre l’humoriste français, Fernand Reynaud qui posait la question suivante : Combien de temps met le fût du canon pour se refroidir ?

Cependant pour mesurer avec précision la vitesse de la pensée, il est nécessaire de déterminer le moment de son apparition. Faut-il déclencher le chronomètre dès l’activation des neurones connectés qui travaillent ensemble pour déclencher le processus de création de la pensée ? Ne faut-il pas attendre plutôt l’apparition d’une intuition qui serait en quelque sorte le premier battement du cœur de la pensée ? Certains considèrent que l’intuition est bien une prémisse de la pensée, car elle peut fournir le matériau brut ou l’impulsion initiale qui mène à une pensée plus développée ou complexe. Pour d’autres, au contraire, l’intuition surgit spontanément, sans être nécessairement basée sur une analyse consciente ou délibérée et ils parlent alors de « sentiment viscéral » ou de «sixième sens». Dès lors, l’intuition ne pourrait être décrite comme une pensée.

La question de la date de naissance de la pensée semble être frappée d’une certaine forme d’incertitude que le physicien Heisenberg et spécialiste de la mécanique quantique n’aurait certainement pas renié, lui qui affirmait qu’on ne peut connaître en même temps la position et la quantité de mouvement d’un électron.

Cette incertitude n’embarrasse en aucune manière certains courants philosophiques qui déclarent urbi et orbi que nos pensées sont plus rapides que l’éclair. « Elles doivent l’être, sinon comment expliquer ces moments où on oublie le nom de quelqu’un juste après l’avoir appris ? » font-ils remarquer. Se doutant peu ou prou du caractère spécieux de leur argumentation, ils tentent d’emporter notre conviction en avançant le point suivant : « Imaginons un sandwich sur la lune. Le jambon-beurre alunira instantanément, c’est-à-dire plus rapidement que la vitesse limite des 300.000 km/s ». CQFD ?

(A suivre)