Quand les lutins lutinent
- José Macarty
- 17 oct. 2024
- 3 min de lecture
Édouard Philippe Cadoret, artisan du Morbihan, savourait la tranquillité de la nuit, son souffle suivant le rythme du chant hypnotique des cigales bretonnes. À l'approche de minuit, une voix grave et étrange l’arracha brusquement à son sommeil paisible. « Mets-toi debout, Édouard. Va dans la forêt de la Figure, près de Moustoir-Ac. Notre grand-mère est morte et sa maison va être détruite. Il faut sauver nos meubles et les cacher dans ton écurie. Sinon, nous serons sans abri. »
Édouard ouvrit les yeux, encore à moitié endormi. Cette voix... Il ne l’avait jamais entendue. Confus, il répondit : « Mais… je ne vous connais pas. Et où se trouve cette forêt de la Figure ? » La voix répliqua, implacable : « Ne t'inquiète pas. Nous te guiderons. »
Malgré la sensation d’irréalité qui l’envahissait, Édouard se leva, trouva à tâtons les clés de son vieux camion et prit la route. Il faisait nuit noire. Sur le chemin, les arbres semblaient se pencher comme pour lui indiquer la direction à suivre, leurs silhouettes sinistres se découpant dans la lueur pâle des phares. Le trajet était de plus en plus étrange, chaque tournant de la route devenant une invitation à pénétrer plus profondément dans l’inconnu.
Soudain, il arriva à un toulkar, l’entrée d’un champ qui menait au cœur de la forêt. Devant lui, une petite maison se matérialisa, presque cachée sous un manteau de fougères. Il ne se souvenait pas de cette clairière. Comment était-il arrivé là ?
Sous l’influence de cette mystérieuse force, Édouard entra dans la maisonnette, et sans réfléchir, commença à charger les meubles dans son camion. Une sensation de malaise s’installa, comme si des regards invisibles l’observaient dans l’obscurité.
À l'aube, Édouard retourna à son écurie pour ranger les meubles. Ce qu'il découvrit le laissa sans voix. Les murs gris de l’écurie, usés par les années, avaient été repeints dans un blanc soyeux, presque irréel. Les fenêtres étaient restaurées, et les meubles qu’il avait récupérés la veille étaient déjà soigneusement disposés. Chaque objet semblait à sa place, chaque détail parfaitement ordonné, comme s'il s'agissait d’un rituel. Des chaînes, des fléaux et de vieux outils de jardin complétaient le décor. Partout, de petits personnages à l’apparence bretonne se dissimulaient sous les tables, dans les tiroirs ou sur les rebords des fenêtres. Édouard resta figé.
Quelques jours plus tard, à la veille de la Saint-Jean, la même voix s'éleva de nouveau, mais cette fois, elle semblait plus pressante : « Ce soir, ne viens pas dans ton écurie. C’est notre grande fête. » Troublé, Édouard obéit. Mais cette nuit-là, il ne trouva pas le sommeil. Depuis son lit, il entendait des bruits étranges, des chuchotements, des rires, des grincements métalliques, comme si une vie secrète animait son écurie. Les minutes s’étiraient, les sons devenaient de plus en plus insistants.
À l’aube, poussé par une curiosité dévorante, il se rendit à l’écurie. Ce qu’il découvrit le glaça : le chaos régnait. Des chaînes étaient dispersées partout, les meubles renversés, et les outils éparpillés comme si un tourbillon de folie s’était emparé du lieu pendant la nuit. Le sentiment d’être pris au piège dans une histoire qui le dépassait grandissait.
Les nuits suivantes furent une torture. Édouard, fatigué et hanté par des ombres insaisissables, chercha désespérément une explication. Un matin, il croisa un vieux sonneur de biniou, accompagné de son ami, joueur de guimbarde. Autour d’un café, le sonneur lui raconta une légende ancienne, celle de la « Forêt de la Fille Guhr », où, disait-on, des êtres féériques venaient jouer des tours lors de la Saint-Jean. Ces lutins, esprits farceurs, exigeaient respect et harmonie pour ne pas semer la discorde.
Édouard comprit alors : cette voix mystérieuse, ces événements étranges… Ce n’était pas un rêve. Les lutins de la forêt lui avaient rendu visite, l’avaient entraîné dans leur monde, où le visible et l’invisible s'entrelacent.

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